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Biotechnologies médicales : un plan pour décembre
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Biotechnologies médicales : un plan pour décembre

Les 34 plans de reconquête industrielle souhaités par le gouvernement ont maintenant tous leur chef de projet, chargé de l’animation des travaux et de la constitution du texte final prévu pour Noël. Pour les biotechnologies médicales, cette mission a été confiée à André Choulika (photo), pdg de Cellectis et président de l’association française des sociétés de biotechnologies, France Biotech. Regard de cet entrepreneur sur la situation française et sur les orientations à prendre.

BioPharmAnalyses : Que manque-t-il aujourd’hui en France pour stimuler l’enthousiasme de l’industrie des biotechnologies et renforcer sa compétitivité par rapport aux autres sociétés européennes ?

André Choulika : Le premier point est tout d’abord le manque de collaborations notable avec l’industrie pharmaceutique sur le sol français. Lorsqu’on regarde le nombre de sociétés de biotechnologie françaises et le nombre de collaborations engagées avec les acteurs nationaux de l’industrie pharmaceutique, il ne se passe pas grand-chose (1). Cette dynamique n’a pas encore été enclenchée et nous avons besoin d’un système qui nous permette de faciliter les synergies entre ces deux familles d’acteurs. Le lancement de ces 34 plans avec l’annonce d’un plan medtech et d’un plan biotechnologies médicales peut apporter des opportunités pour lancer de tels projets synergiques.

De plus, l’investissement dans le secteur des biotechnologies reste toujours aussi compliqué. La situation n’a pas évolué depuis vingt ans. A projet équivalent, une société française lève toujours dix fois moins de capitaux que son équivalent américain et la plupart des fonds ne viennent pas investir sur des projets à risque. Il y a sans doute un certain nombre d’outils déjà disponibles ou à mettre en place qui pourraient améliorer cette situation. Enfin, le développement clinique est lui aussi difficile. La France possède de nombreux atouts pour réaliser des études cliniques sophistiquées : centres anticancéreux de renom, praticiens et hôpitaux de qualité dans de nombreux domaines thérapeutiques… Mais tout ceci ne se transforme pas dans la pratique par des programmes avancés et risqués et je pense qu’à ce niveau, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) n’est pas facilitante. Il faudrait regarder de plus près les efforts réalisés par d’autres pays, tels que l’Espagne et l’Italie, pour se placer en position concurrentielle et attirer sur leur territoire des projets innovants dans le secteur des biotechnologies ou des dispositifs médicaux.

On pourrait aussi s’inspirer du statut de « breakthrough therapy » lancé en juillet 2012 par la FDA (2). L’ANSM ou peut être l’Agence européenne du médicament devraient réfléchir à la mise en place d’un système similaire. Il faut pouvoir prendre des risques pour prendre de l’avance et la conserver, mais nous ne sommes pas sur la bonne pente. La France est outillée pour mettre des thérapies de rupture à la disposition des patients, pourtant, rien n’est fait pour y parvenir. La France devrait prendre l’initiative au niveau européen pour la création d’un statut spécifique pour les technologies de rupture dans le secteur de la santé, avec notamment une équivalence du statut fast track qui permet d’aller plus rapidement au patient.

BioPharmAnalyses : Conseil stratégique des industries de santé, comité stratégique de filière des industries de santé et leurs 44 mesures, nouvelle France industrielle avec ses 34 plans de reconquête industrielle avec leurs axes biotechnologies médicales et dispositifs médicaux… l’addition de ces différents dispositifs ne risque-t-il pas de nuire à leur lisibilité et, par là même à leur efficacité ?

André Choulika : On pourrait aussi rajouter les pôles de compétitivité, les programmes des investissements d’avenir… Alors effectivement, on peut parler de dispersion. Au bout d’un moment, il faut arrêter de faire des plans et agir. Avec le dernier positionnement pris par le gouvernement, le choix a été fait de confier l’initiative aux industriels pour définir la feuille de route des 34 plans de reconquête. L’enveloppe globale allouée est de 3,5 milliards d’euros, ce qui correspond à environ 100 millions d’euros par plan. Le montant n’est pas négligeable et il peut permettre de piloter de façon très dynamique un projet sur cinq ans et de le faire aboutir.

BioPharmAnalyses : Quels sont les objectifs et quelles orientations technologiques doivent être mises en avant dans le cadre de ce plan biotechnologies médicales ?

André Choulika : L’objectif est de présenter un business plan d’ici décembre. Celui-ci mettra l’accent sur les thérapies cellulaires où toutes les voies sont ouvertes aujourd’hui. Une nouvelle donne mondiale est en train de s’installer dans ce domaine et la France possède des atouts dans le cancer, dans la lutte contre les infections virales, dans la médecine régénératrice… Il y a une volonté, le gouvernement a déjà investi 80 millions d’euros pour le projet Cell4Cure. Le potentiel existe au niveau du secteur public (instituts de recherche, hôpitaux…) comme du secteur privé, avec des capacités dans les domaines de l’immunothérapie innée, de la thérapie génique, de la production de différents types de cellules. Il faut maintenant construire un plan industriel, avec un objectif bien défini, une mise en commun des connaissances et des technologies, un accompagnement de l’industrie pharmaceutique et une participation de l’ANSM pour pouvoir mettre les premiers produits à la disposition des patients dans un délai déterminé de 12, 18 mois ou 24 mois. En regroupant l’ensemble de ces acteurs, ce plan peut vraiment être fédérateur.

BioPharmAnalyses : Quelles autres actions vous paraissent les plus importantes aujourd’hui pour favoriser le développement de l’industrie des biotechnologies en France ?

André Choulika : Le gouvernement peut agir à travers plusieurs mesures qui sont toujours axées sur les mêmes propositions formulées par France Biotech. Premièrement, il faut pouvoir canaliser l’argent des investisseurs et de l’assurance-vie vers les sociétés de biotechnologie. Une part significative de 3 à 5 % des fonds d’assurance-vie doit pouvoir être réinvestie dans des fonds d’investissements à risque. L’enjeu est de construire l’industrie pour la France de demain. Comment rendre attractif cet investissement, en particulier dans les PME innovantes ? Le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) en offre la possibilité. Il faudrait prolonger ce statut à 15 ans et exonérer les plus values de cession sur ces sociétés. Enfin, il faudrait réserver ce statut aux sociétés qui consacrent au moins 25 % de leurs dépenses à la R&D. Ces mesures pourraient canaliser un flux considérable vers ces sociétés, avec pour résultats des créations d’emploi et de la croissance. Aujourd’hui, tout le monde comprend que notre intérêt est de réindustrialiser la France. Il faudra savoir faire des choix et savoir conserver les niches fiscales capables de réindustrialiser la France sur des projets d’avenir et de construire sur le long terme. Le choix de 34 plans pour une nouvelle France industrielle peut donner l’impression d’un trop grand nombre de projets avec des financements insuffisants. Ce n’est pas grave, je pense que cette initiative donne une perspective de développement industriel tourné vers l’exportation et vers l’innovation. L’industrie ne peut pas tout attendre du gouvernement. Elle doit aussi savoir se relever les manches. La compétition est internationale et presque tous les gouvernements dans le monde ont mis en place ce type de plans industriels. Ce n’est plus au gouvernement de réaliser des programmes comme ce fut le cas dans le passé pour le TGV, Ariane ou Airbus, mais aux industriels. Maintenant, il faut nous aider et concentrer effectivement les budgets et les efforts sur les business plans qui sortiront de ces travaux.

Propos recueillis par Anne-Lise Berthier

(1) Depuis janvier 2011, moins d’une dizaine de sociétés de biotechnologie françaises ont signé des accords de collaboration avec des acteurs français de l’industrie pharmaceutique.

(2) Depuis le lancement du statut de « breakthrough therapy » (littéralement thérapie de rupture), en juillet 2012, 92 dossiers ont déposé pour l’obtention de ce statut et la FDA l’a accordé à 27 produits jusqu’à présent. Trois produits issus de sociétés européennes l’ont obtenu cette année. Il s’agit de la serelaxine de Novartis, du drisapersen de GSK et Prosensa et de l’obinutuzumab de Roche.

 

 


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