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« L’innovation en bioproduction n’est pas un champ aride en France »
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« L’innovation en bioproduction n’est pas un champ aride en France »

« L’innovation en bioproduction n’est pas un champ aride en France »

Le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » a maintenant sélectionné 10 projets retenus dans le cadre de ses premiers appels à projets.  Alors qu’une nouvelle vague de lauréats va être annoncée prochainement, son directeur, Emmanuel Dequier, développe les prochaines étapes prévues pour faire de la France le leader européen de la bioproduction d’ici 2030.

 

 

La stratégie d’accélération « Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes » et le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » ont annoncé leurs premières listes de lauréats. Pouvez-vous nous rappeler comment se structurent et s’organisent ces deux initiatives de l’Etat ?

Dans un premier temps, le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » a été initié en décembre 2019 et mis en place en janvier 2020 avec une feuille de route stratégique reposant sur trois piliers de soutien à l’innovation en bioproduction : les usines modulaires, le pilotage en ligne et les systèmes d’expression. Sa mission inclut aussi un axe de structuration de la filière de bioproduction française qui passe, d’une part, par les intégrateurs industriels labellisés en novembre 2020, et d’autre part, par les travaux que je réalise avec le soutien des industriels sur l’Alliance France Bioproduction (AFB). Cette dernière structure a vocation à représenter tous les acteurs de l’écosystème de la bioproduction auprès du gouvernement et nous travaillons aujourd’hui à son articulation avec la future agence de l’innovation en santé. Ce Grand Défi a été le programme initial du Gouvernement pour le soutien à la bioproduction. S’y est ensuite ajoutée la stratégie d’accélération « Biothérapie et bioproduction des thérapies innovantes », financée par le 4ème Programme d’investissement d’avenir (PIA 4), dont les détails ont été annoncé le 7 janvier 2022. Celle-ci a été construite dans le cadre d’une consultation publique qui a reçu plus de 300 réponses et d’un appel à manifestation d’intérêt clôturé au printemps dernier pour lequel 90 dossiers ont été retenus et analysés par les services et opérateurs de l’Etat. C’est à partir de tous ces travaux que les grandes orientations de la stratégie d’accélération ont été déterminées. Par ailleurs, certains des projets présentés dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt ont été jugés suffisamment mâtures pour un financement immédiat de l’Etat sans attendre la mise en place d’un appel à projets et ce sont les neuf premiers lauréats qui viennent d’être annoncés en même temps que les quatre nouveaux projets que nous avons sélectionnés dans le cadre du Grand Défi. Ces projets s’inscrivent dans les axes usine modulaire et contrôles en ligne.

Le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » arrive maintenant dans sa troisième année. Quelles sont ses prochaines étapes ?

Le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » a vocation à s’arrêter. Ce programme a permis de poser certains des fondamentaux de la stratégie d’accélération « Biothérapie et bioproduction des thérapies innovantes ». Le soutien à l’innovation prévu dans sa partie technologique et dans sa partie production s’est basé en grande partie sur les travaux du Grand Défi qui a permis de commencer à structurer la filière de bioproduction en France. Dans un an, on ne parlera plus que de la Stratégie d’Accélération. Celle-ci va non seulement prolonger les soutiens apportés par le Grand Défi mais elle va aussi pérenniser le dispositif des intégrateurs industriels.

Quels premiers constats pouvez-vous dresser sur les projets qui ont été présentés au Grand Défi ?

Les projets qui nous ont été présentés ont satisfait à nos attentes parce qu’ils répondent aux deux objectifs fixés. Ces projets devaient regrouper des acteurs de plusieurs territoires afin de mettre en place des initiatives nationales. C’est aussi la raison pour laquelle des intégrateurs industriels ont été mis en place sur toute la France. Nous voulons créer un réseau national et plusieurs des projets couvrent effectivement l’intégralité du territoire. Nous souhaitions aussi faciliter l’entrée de nouveaux acteurs dans la bioproduction. Plusieurs de ces projets respectent parfaitement ce cahier des charges. C’est le cas notamment du projet « SOFTCELL » avec Planktovie. La société fabrique des réacteurs pour la production de plancton et cherchait depuis plusieurs années à rentrer dans la production de cellules souches. C’est aussi le cas du projet « MAGI@LINE » où une PME spécialiste du diagnostic, MagIA Diagnostics, va développer un système de contrôle en ligne intégrant l’intelligence artificielle pour optimiser la production d’anticorps thérapeutiques. Ces deux exemples de projets se positionnent sur des relais de croissance et de développement et le soutien du Grand Défi vise à faciliter la réalisation des preuves du concept nécessaires pour convaincre ensuite investisseurs et industriels. On observe aussi un phénomène d’accélération qui est aussi lié au fait qu’on fait se rencontrer des acteurs venant de l’ingénierie et des acteurs venant de la biologie à travers les intégrateurs industriels. L’innovation en bioproduction n’est pas un champ aride en France. Plusieurs des intégrateurs labellisés tels que MTInnov à Nancy et la plateforme d’innovation en biothérapies de l’EFS de Dijon ou encore MAGENTA à Evry, MEARY à Paris et CPV à Nantes possèdent des compétences en développement de bioprocédés pour la production de médicaments de thérapie innovante alors que le TIBH à Toulouse développe de nouvelles approches de productions de protéines et anticorps. Le Grand Défi et la Stratégie d’Accélération ont mis en avant le domaine de la production en France et il nous faut maintenant continuer à travailler sur l’attractivité de notre territoire. C’est un véritable enjeu afin que des investisseurs s’intéressent à notre écosystème français et que des chercheurs étrangers soient incités à venir travailler en France et poursuivre le travail du fond autour du soutien à l’innovation.

Lorsqu’on regarde la liste des projets retenus et des intégrateurs labellisés, le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » semble avoir agi comme un révélateur et a mis en évidence des initiatives dans des régions où la bioproduction ne semblait pas la plus active. Partagez-vous cette impression et à quoi l’attribuez-vous ?

Oui, je pense qu’on a sous-estimé la force de nos territoires. Comme l’a clairement dit le Président de la République lors des journée du Conseil Stratégique des Industries de Santé le 29 juin dernier, la biologie a longtemps été le parent pauvre de la recherche française. Il y a eu une baisse importante des crédits ces dernières années et ce sont les régions qui ont soutenu la filière dans le cadre de leurs actions de développement économique. Le Grand Défi a effectivement joué un rôle de révélateur de politiques régionales qui ont permis l’émergence d’initiatives sur lesquelles nous avons pu nous appuyer pour labelliser les intégrateurs industriels. S’il avait fallu partir de 0, la mise en place de telles plateformes aurait nécessité trois à cinq ans. Le bilan d’un an d’activité des six intégrateurs industriels labellisés en novembre 2020 montre qu’un total de 41 projets ont été a l’étude et certains vont démarrer. La labellisation par le Grand Défi a donc permis de focaliser sur ces intégrateurs l’attention de porteurs de projets qui ne savaient pas à qui s’adresser pour développer leurs innovations et/ou qui ne pensaient pas pouvoir travailler sur ces sujets de bioproduction en France. La dynamique est lancée et elle va être amplifiée dans la Stratégie d’Accélération.

Quels montants ont été attribués par le Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » et quelles sommes pouvez-vous encore mobiliser dans ce cadre ?

Aujourd’hui, 12 millions d’euros ont été engagés sur un budget total de 30 millions d’euros et une nouvelle annonce de financements est prévue prochainement. Il restera alors encore trois à cinq millions à attribuer mais je n’ai pas encore défini la meilleure stratégie à adopter pour obtenir un levier d’accélération maximum en cohérence avec la stratégie d’accélération « Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes ». Parallèlement, ce programme va mobiliser 800 millions d’euros sur les quatre axes définis pour le soutien à l’innovation (excellence de la recherche académique, accélération de l’accès au marché, développement de nouvelles technologies et de l’outil industriel en bioproduction, amélioration de l’accès des patients aux nouvelles biothérapies). A ces sommes viendra s’ajouter la mobilisation des agents de l’Etat pour la simplification des démarches pour faciliter et raccourcir les délais d’accès au marché des biothérapies. Le président Emmanuel Macron veut que nous soyons alignés sur le système allemand où le médicament est mis sur le marché dès que l’autorisation de mise sur le marché a été délivrée. L’engagement a aussi été pris de simplifier la mise en place des essais cliniques afin de faire revenir un nombre important d’études sur notre territoire et d’augmenter ainsi les chances des patients français. La volonté du président est de redevenir un leader européen de la production de médicaments d’ici 2030. Dans cette perspective, plusieurs jalons intermédiaires ont été posés : il s’agit notamment de doubler d’ici 2025 le nombre d’emplois en production sur le territoire français et de doubler d’ici à cinq ans le nombre de biothérapies produites en France grâce à une diversité d’aides à l’innovation, de soutien à la production et d’accompagnement des entrepreneurs.

Vous évoquez un doublement des emplois en production en France d’ici 2025, mais les industriels sont fréquemment confrontés à des difficultés de recrutement, les personnels formés en France ayant souvent tendance à partir à l’étranger (Allemagne, Belgique, Suisse, Etats-Unis…) où ils peuvent en général avoir des salaires plus élevés. Comment appréhendez-vous cette problématique ?

Ce sujet recouvre en fait deux problématiques distinctes : celui de l’expertise et celui des ressources humaines. La question des compétences va être prise en charge par l’AFB, sachant que cette question implique d’une part de former suffisamment de jeunes et, d’autre part, d’atteindre une bonne adéquation avec les besoins de personnels sur les territoires de production. La problématique territoriale concerne surtout les opérateurs à bac + 2 ou à bac + 3. Pour ces niveaux d’études où la mobilité reste assez faible, on ne peut pas demander à un jeune formé dans la région Nord de la France d’aller travailler dans la région Centre. Les échanges avec les acteurs de la production montrent qu’ils ont plus de difficultés à recruter quand ils sont loin des centres de formation. Il parait donc nécessaire de bien répartir les formations d’opérateurs de production sur le territoire. Au niveau des ingénieurs et des docteurs, la problématique est double. Il faut non seulement en former suffisamment mais aussi éviter qu’ils ne quittent la France. Pour ces profils, la mobilité internationale joue un rôle important pour accélérer leur carrière et au cours de ces dernières années, nombre d’entre eux ont eu besoin de partir à l’étranger pour trouver leur premier emploi. Aujourd’hui, la tendance s’inverse et des chiffres encore non publiés sur un panel d’étudiants à bac + 5 montre que la tendance est maintenant à une diminution du nombre de départ à l’étranger. Le marché du travail augmente pour ces profils qui peuvent maintenant trouver leur premier poste sur un bassin national d’emplois qui redevient attractif.

Propos recueillis par Anne-Lise Berthier


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