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R&D : l’interdépendance du public et du privé
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R&D : l’interdépendance du public et du privé

Anti-TNF alpha, erythropoïetine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, rituximab, zidovidune… Si ces différents médicaments ont tous en commun d’avoir transformé profondément le traitement de pathologies majeures, leur mise au point est aussi le fruit de travaux ayant impliqué étroitement le secteur public et le secteur privé. Les résultats d’une analyse récente menée par le Tufts Center for the Study of Drug Development (CSDD) de l’université américaine Tufts soulignent ainsi l’interdépendance de la recherche fondamentale publique et de l’industrie biopharmaceutique pour parvenir au développement et à la mise sur le marché de nouveaux médicaments.

Un secteur privé plus efficace dans les phases de pré-industrialisation

Les chercheurs américains ont étudié l’histoire d’un groupe de 19 médicaments, de six classes thérapeutiques et d’une combinaison pharmaceutique figurant parmi les médicaments ayant le plus modifié le traitement des patients au cours des 25 dernières années (1). Ces différents produits qui couvrent plus d’une vingtaine d’aires thérapeutiques majeures (cancer, maladies infectieuses, maladies inflammatoires, maladies cardiovasculaires, maladies immunitaires, maladies ophtalmologiques…), ont été sélectionnés à partir d’une enquête menée auprès de 200 médecins américains. Dans une première étape, les chercheurs américains se sont penchés sur les contributions respectives du secteur public et du secteur privé à la recherche et au développement de cs médicaments. Quatre phases ont été distinguées : recherche fondamentale, découverte, chimie/formulation/production/contrôle et développement. Sans surprise, le secteur public se positionne comme le contributeur majeur pour la partie recherche fondamentale et est à l’origine de 54 % des jalons atteints à ce stade, contre 27 % pour le secteur privé. En revanche, la proportion s’inverse pour la phase découverte, avec 58 % des jalons atteints par le privé contre 17 % pour le secteur public. Lorsqu’on arrive sur les phases préalables à une industrialisation, le secteur privé affirme logiquement sa plus grande efficacité, avec respectivement 81% et 73 % des jalons réussis pour la phase de développement et la phase de chimie/formulation/production/contrôle. Alors que différentes voix s’élèvent périodiquement pour la mise en place d’une R&D biopharmaceutique financée par l’Etat, le Tufts Center for the Study of Drug Development s’est livré dans un deuxième temps à une évaluation des coûts qu’engendrerait une telle évolution. Avec des coûts de R&D estimés à 128 milliards de $ pour les produits les plus innovants autorisés entre 1987 et 2002 aux Etats-Unis à et 234 milliards pour l’ensemble des médicaments approuvés sur cette même période, les calculs de l’université Tufts estiment qu’il aurait fallu doubler les budgets des NIH pour maintenir le seul flux d’autorisation des médicaments les plus innovants et le multiplier par 2,5 pour l’ensemble des médicaments approuvés sur cette période. Mais, si l’étude souligne que la contribution du secteur privé est plus importante et plus significative pour les phases relatives à la recherche appliquée, à la performance clinique et à la production commerciale, seules quatre des molécules étudiées (époprostenol, fluoxetine, sildénafil et oméprazole) ont été développées par l’industrie seule. Le travail des chercheurs américains rappelle notamment à quel point le processus de découverte d’un médicament fait intervenir une chaîne complexe allant de la recherche la plus fondamentale au développement de formulations adaptées et à la mise au point des procédés de production industrielle. Ainsi, les sièges sociaux des laboratoires concernés par les différents médicaments étudiés par le Tufts CSDD sont-ils répartis dans cinq pays, mais les recherches nécessaires à leur identification et à leur développement se sont déroulées dans plus de vingt pays. De plus, il s’est écoulé en moyenne 25 ans entre la recherche initiale et l’autorisation du médicament, avec des recherches échelonnées des années 50 au début des années 80 pour des autorisations intervenues entre la fin des années 80 et le début des années 2000.

Un parcours complexe et émaillé d’embûches

L’analyse de l’histoire du développement des médicaments étudiés par le Tufsts CSDD rappelle aussi quelques unes des caractéristiques majeures à l’origine de la découverte et de l’identification d’un nouveau candidat médicament. Parmi les phénomènes soulignés, figure le médicament « récupéré » qui correspond à des composés abandonnés à cause de problèmes de sécurité qui ont pu être résolus ultérieurement ou à des composés « délaissés » au profit d’autres molécules. Autre point majeur, la levée de verrous technologiques permettant de produire des molécules d’intérêt en quantités suffisantes pour des applications cliniques. C’est le cas notamment de l’érythropoïétine et des interférons dont les propriétés étaient connues depuis les années 1950 et 1900, mais qui n’ont pu être produits à grande échelle qu’à partir des années 1980. Les programmes de criblage constituent aussi une source importante pour l’identification de molécules capables de répondre à des besoins médicaux insatisfaits. Au sein de l’échantillon étudié par la Tufts University, entrent dans cette catégorie l’époprosténol, les inhibiteurs de l’ACE, l’oméprazole, le propofol, le reminfentanil, le sumatriptan, la tamsulosine et la zidovudine. Il est à noter que pour la majorité de ces molécules, leur développement a fait intervenir à la fois le secteur public et le secteur privé, ce dernier ayant eu généralement un rôle déterminant pour accélérer les programmes de criblage. Deux des médicaments étudiés sont issus de spin-off créées par des chercheurs académiques pour valoriser leurs travaux de recherche. C’est le cas de la thérapie enzymatique de substitution alglucérase issue des travaux d’un chercheur de la Tufts University et co-fondateur de Genzyme et de la toxine botulique A dont les inventeurs académiques ont créé la société Oculinum rachetée ensuite par Allergan. Dans leur grande majorité, les molécules étudiées sont le fruit de collaborations entre le secteur public et le secteur privé et/ou de passages successifs d’un secteur à l’autre. Entrent dans cette catégorie l’imatinib, le rituximab, le latanoprost, la combinaison fluticasone-salmétérol, les antiVEGF, les biphosphonates, les anti TNF alpha et les inhibiteurs de la protéase du VIH. Enfin, il ne faut pas oublier la place du hasard dans la recherche pharmaceutique, avec les destins « contrariés » de la nitisinone développée au départ en tant qu’herbicide qui a trouvé des applications pour le traitement d’une maladie rare et du sildénafil dont les effets secondaires « inattendus » ont fait le succès du Viagra®….

Anne-Lise Berthier

(1) Les 19 médicaments étudiés dans cette analyse sont l’alglucerase (Ceredase® de Genzyme), première thérapie enzymatique de substitution autorisée pour le traitement de la maladie de Gaucher aux Etats-Unis en 1991, la clozapine, antipsychotique de Novartis autorisé pour le traitement de la schizophrénie depuis 1990 aux Etats-Unis, l’erythropoiétine d’Amgen autorisé pour le traitement de l’anémie chez les patients atteints d’insuffisance rénale chronique depuis 1989 aux Etats-Unis, l’époprostenol, prostacycline de GSK autorisée pour le traitement de l’hypertension pulmonaire depuis 1995 aux Etats-Unis, la fluoxétine (Prozac®) d’Eli Lilly autorisée pour le traitement de la dépression depuis 1987 aux Etats-Unis, l’imatinib (Glivec®) de Novartis autorisé pour le traitement de la leucémie à chromosome Philadelphie depuis 2001 aux Etats-Unis, le latanoprost, prostaglandine de Pfizer autorisée pour le traitement du glaucome et de l’hypertension oculaire depuis1996 aux Etats-Unis, la lovastatine de Merck&Co autorisée pour le traitement de l’hypercholestérolémie depuis 1987 aux Etats-Unis , la metformine, antidiabétique de Merck KgaA, la nitisinone, inhibiteur enzymatique autorisé pour le traitement d’une maladie rare, la tyrosinémie de type 1 depuis 2002 aux Etats-Unis, l’oméprazole, inhibiteur de la pompe à protons d’AstraZeneca autorisé pour le traitement du reflux gastro-oesophagien depuis 1989 aux Etats-Unis, la toxine botulique A d’Allergan autorisée dans une première indication en 1989 aux Etats-Unis, le propofol, agent anesthésique d’AstraZeneca, le remifentanil, analgésique de GSK et Abbott pour le traitement de la douleur et l’anesthésie, le rituximab anticorps antiCD20 de Roche, autorisé pour le traitement du lymphome à cellules B depuis 1997 aux Etats-Unis, le sildénafil, anti-phosphodiestérase 5 de Pfizer autorisé pour le traitement des dysfonctionnements érectiles depuis 1998 aux Etats-Unis, le sumatriptan de GSK autorisé pour le traitement des migraines depuis 1991 aux Etats-Unis, la tamsulosine, alpha-bloquant d’Astellas autorisé pour le traitement des symptômes de l’hypertrophie bénigne de la prostate depuis 1996 aux Etats-Unis et la zidovudine (AZT) de GSK, premier inhibiteur de la transcriptase inverse du VIH autorisé pour le traitement du sida depuis 1987 aux Etats-Unis Les classes thérapeutiques incluses dans l’étude sont les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine pour le traitement de l’hypertension, les anticorps anti VEGF en oncologie, les bisphosphonates pour le traitement de l’ostéoporose, les inhibiteurs de la protéase du VIH pour le traitement du sida et les interférons bêta 1a et 1b pour le traitement de la sclérose en plaques, de l’hépatite C, du cancer, et les anti TNF alpha. La combinaison pharmaceutique est l’assocation de la fluticasone (corticoïde) et du salmotérol (agoniste des récepteurs béta-adrénergiques à longue durée d’action) de GSK pour le traitement de l’asthme.

L’étude de la Tufts University est accessible à l’adresse suivante : http://csdd.tufts.edu/files/uploads/PubPrivPaper2015.pdf 

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