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Les intégrateurs industriels, futurs piliers de la filière Bioproduction ?
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Les intégrateurs industriels, futurs piliers de la filière Bioproduction ?

Les intégrateurs industriels, futurs piliers de la filière Bioproduction ?

La France s’est fixée pour objectif de devenir le leader européen de la bioproduction d’ici 2030. Emmanuel Dequier, directeur du Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » nous décline les grands axes des travaux engagés par le Grand Défi pour atteindre cet objectif ambitieux.

 

Quels sont vos ambitions et vos objectifs dans le cadre de votre mission de directeur du programme Grand Défi « Biomédicaments : améliorer les rendements – maîtriser les coûts de production » ?
Les biomédicaments constituent un véritable enjeu industriel. Ils représentent aujourd’hui 30% du marché du global des médicaments et ce secteur est en pleine croissance. Sur dix nouveaux médicaments mis sur le marché, quatre sont des biomédicaments et d’ici 2025, 50 des 100 médicaments les plus prescrits seront des biomédicaments. Mais il faut savoir que seulement huit des biothérapies autorisées en Europe sont produites en France, contre 19 en Italie, 23 en Irlande, 34 en Allemagne et 26 au Royaume-Uni. Nous devons donc rattraper notre retard et le Grand Défi participe à l’effort général inscrit dans le cadre du Conseil Stratégique de Filière – Industries et Technologies de Santé (CSF-ITS) pour redonner de l’attractivité aux territoires français et à présent de la Stratégie d’Accélération « Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes » qui va être mise en place par le Gouvernement dans le cadre du quatrième Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) et du plan France Relance. Le développement de l’attractivité d’un territoire peut passer par différents niveaux : fiscalité, ressources humaines disponibles, tissu de la recherche, structuration des écosystème, etc. Le Grand Défi, doté de 30 millions d’euros, s’axe sur le soutien à la recherche et à l’innovation et à la structuration de la filière.
Cet effort participe à la réalisation des objectifs du CSF-ITS qui visent à faire passer de 5% à 20 % d’ici 2030 la part des biomédicaments autorisés en Europe qui sont produits en France. Cette ambition se chiffre aussi en termes d’emploi, avec une cible de 10 000 créations de postes sur le territoire d’ici à 2035. Nous y parviendrons par une convergence de moyens et d’actions. J’ai déjà cité le contrat stratégique de filière avec les industriels, mais il faut également mentionner la Stratégie d’Accélération « Biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes » qui s’inscrit aussi dans cet axe. Au niveau du Grand Défi, nous travaillons sur les outils de production des médicaments de demain. Notre ambition est de créer des liens entre disciplines à travers l’innovation car le biomédicament est indissociable de son procédé de fabrication. Nous voulons donc d’abord soutenir des projets d’innovation interdisciplinaires où se rencontrent la biologie, la médecine et l’ingénierie pour que les offres de solutions technologiques soient au plus près du besoin. C’est la philosophie du Grand Défi qui est traduite dans le cadre des appels d’offre qui ont été lancés.

Pouvez-vous nous présenter un premier bilan de cet appel d’offres « Biomédicament : améliorer les rendements et maîtriser les coûts de production » ?
L’appel à projets opéré pour le compte de l’Etat par Bpifrance a été lancé en deux temps, avec un pré-dossier pour retenir les projets les plus prometteurs, puis un dépôt de dossier complet pour les projets retenus. Au total, 15 dossiers éligibles ont été déposés et 11ont été retenus pour la phase d’ingénierie de projets afin de compléter et de redéposer les dossiers pour évaluation avant de lancer les financements. Les premiers lauréats seront annoncés cet été. Une deuxième vague de lauréats sera présentée à l’automne. Rappelons que cet appel à projets porte sur deux des trois axes de soutien à l’innovation du Grand Défi. Le premier axe intitulé « Usine modulaire » concerne les systèmes robotiques, le développement de la modularité et de l’automatisation sur les sites de production ainsi que l’amélioration de la sécurité du biomédicament et de la sécurité des opérateurs des lignes de production. Le deuxième axe porte sur le pilotage en ligne et la meilleure compréhension du déroulement des cultures au cœur des bioréacteurs. Ceci passe par le développement de nouveaux biocapteurs qui permettent d’augmenter le nombre de variables accessibles pour ensuite modéliser ce qui se passe au cœur du bioréacteur avec deux objectifs :
• pouvoir intervenir en cours de culture afin de « remettre sur les rails » une production en cours ;
• mieux modéliser les mises à l’échelle (scale up) des productions pour réduire les temps de développement des médicaments innovants.
Enfin, le troisième axe de soutien à l’innovation porte sur la « biologie du bioréacteur » (amélioration des milieux de culture, recherche de lignées cellulaires alternatives…) avec toujours pour objectif d’améliorer les rendements de production d’un facteur 100 voire 1000.
Cet effort est indispensable pour soutenir la filière et pour garantir l’accès aux médicaments dans les années qui viennent. Les premiers lauréats de cet appel à projets opéré par l’ANR seront annoncés dans les jours qui viennent et je peux déjà vous dire qu’il y a six lauréats pour des financements moyens d’un million d’euros par projet.

Les premiers travaux de l’Alliance France Bioproduction (AFB) visent à recenser les acteurs de la bioproduction en France. Avez-vous des premiers résultats à partager ?
Une première étude faite dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route du CSF-ITS a permis d’identifier un premier ensemble d’acteurs impliqués dans la filière (Etude téléchargeable sur le site du Grand Défi). Les travaux en cours pour la mise en place de l’AFB ont permis d’affiner les typologies des acteurs concernés par la bioproduction. Maintenant que les différentes parties prenantes ont été identifiées, nous allons dans un second temps travailler à consolider une base de données de ces différents acteurs. Nous déployons une approche de co-construction et nous n’allons donc pas dupliquer le très bon travail qui est fait par France Biotech, par les pôles de compétitivité, par l’AFSSI et par des clusters tels que Polepharma, MabDesign, etc. Nous allons travailler avec eux pour conforter les recensements déjà faits, les compléter avec des acteurs qui ne sont pas dans le périmètre d’action de ces instances et ensuite rendre cette cartographie disponible pour donner plus de visibilité à la filière et à l’écosystème de la bioproduction en France.

Avez-vous déjà pu identifier les principales lignes de force et de faiblesse de la bioproduction en France ?
Les travaux conduits dans le cadre du Grand Défi et par le CSF-ITS ont déjà permis d’identifier nos forces et nos faiblesses. Nous avons une offre sur le territoire de bioréacteurs de volumes intermédiaires pour la production de protéines et d’anticorps, mais nous manquons de capacités d’une part pour des productions à petite échelle telles que les lots cliniques et d’autre part pour les productions de lots commerciaux de taille importante. Nos échanges avec les acteurs du terrain montrent aussi qu’il y a un travail à faire pour renforcer cette offre en CDMO pour les médicaments de thérapie innovante (MTI) sur le territoire. L’étude du CSF-ITS a toutefois permis de montrer que tous les ingrédients du succès sont présents en France avec des laboratoires de recherche de renommée internationale, un nombre important d’acteurs de l’industrie 4.0, de nombreuses CRO (Contract Research Organisation) qui viennent en soutien et qui développent de nombreuses innovations pour la mise au point des biothérapies de demain.

Le French BioProduction Tour a justement donné l’occasion d’entendre des témoignages sur ces manques qui ont conduit certaines sociétés à se tourner vers des CDMO belges. Face à la proximité avec la Belgique qui abrite des structures déjà bien implantées et rachetées pour certaines par des grands CDMO internationaux, ne craigniez-vous pas une attraction vers cette zone géographique très proche et très facile d’accès pour les Français ?
L’attractivité est là, on peut en témoigner. On voit tous les jours des étudiants qui sortent de nos écoles et partent ensuite en Suisse et en Belgique. Mais il faut aussi être en capacité de répondre aux besoins. De plus en plus de produits sortent des laboratoires, ce qui va nécessiter bientôt d’avoir plus de capacités de production. La France a affiché ses ambitions d’être leader européen de la bioproduction en 2030 et elle doit donc entrer dans la course et développer son attractivité. La compétition internationale se jouant face à des acteurs tels que l’Amérique du Nord, la Chine et plus largement l’Asie, il est donc indispensable de raisonner au niveau européen. Nous devons constituer des consortia européens solides afin de ne pas disperser nos efforts et d’avoir une bonne articulation pour redonner de la visibilité et de la force de frappe à l’Europe.

Qu’attendez-vous des intégrateurs industriels qui ont été labellisés en novembre dernier ?
Les intégrateurs industriels viennent en soutien des programmes d’innovation du Grand Défi. Ce label leur est donné parce qu’ils sont en capacité de créer des programmes de recherche interdisciplinaires, d’offrir des accès à des équipements et une expertise de point tout en fournissant des capacités d’accueil de qualité aux porteurs de projet tels que  que les jeunes entreprises innovantes, biotech et deeptech. Ce dernier point est un des éléments importants du cahier des charges car il permettra de créer des écosystèmes locaux en étant au plus près des start-up. Les intégrateurs ont aussi pour mission de mettre les entreprises (pharma, biotech, équipementiers, etc.) exprimant des besoins en relation avec les plateformes et entreprises innovantes capables de les mettre en adéquation avec leurs solutions.
Les intégrateurs industriels sont également extrêmement importants pour la structuration de la filière. J’ai fait le choix d’avoir une approche inclusive et il était donc essentiel dès la première étape de travailler avec les territoires. Nos régions abritent des laboratoires de renommée internationale. Aujourd’hui, les entrepreneurs et les entreprises vont s’installer là où sont les compétences, d’où l’importance de ce réseau d’intégrateurs qui offre un accès à des expertises pointues dans cinq Régions de France. Ce sont les fondations de la structuration de la filière et l’AFB aura pour vocation de coordonner ce réseau, en collaboration avec les responsables des intégrateurs. Nous sommes en train de finaliser les propositions quant aux missions de l’AFB qui seront remises par Jacques Volckmann, président du Board Bioproduction du CSF-ITS,  et moi-même, à la Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, en juin prochain et les intégrateurs industriels y joueront un rôle important.

Propos recueillis par Anne-Lise Berthier

18/05/2021


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