InterBiotech : Médecine personnalisée en oncologie
La France et la Chine célèbrent cette année le cinquantenaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Alors que cet anniversaire prévoit de nombreuses commémorations, la Chine sera l’invitée d’honneur de la prochaine édition de Biovision qui se tiendra les 5 et 6 juin prochains à Lyon, tandis que la ville de Pékin accueillera les Rencontres France-Chine de la santé du 15 au 17 août. A cette occasion, Benoît Colinot (photo), conseiller export santé Chine chez Ubifrance, développe quelques-unes des caractéristiques du marché chinois de la santé et de la présence française dans le pays.
BioPharmAnalyses : Quel état des lieux peut-on dresser de la présence des industriels français pharma et biotech en Chine ?
Benoit Colinot (Ubifrance) : Il faut clairement distinguer grands groupes, laboratoires de taille moyenne et PME. La Chine est aujourd’hui un marché stratégique pour les grands acteurs. bioMérieux, Ipsen, Sanofi, Servier y sont tous présents. Ces groupes ont souvent commencé par distribuer, puis par produire sur place pour le marché local et intensifient aujourd’hui leur effort de R&D localement via la conclusion d’alliances mais aussi à travers leurs propres centres de R&D. Deux raisons majeures expliquent cette évolution.
Il est indispensable pour ces entreprises d’être là où se passe l’innovation. On est à Boston aux Etats-Unis et à Cambridge au Royaume Uni et aujourd’hui, il faut aussi être à Shanghai ou Pékin. Il est également important pour eux d’être au plus près des particularités du marché chinois, par exemple en raison de la prévalence de certaines pathologies spécifiques aux populations asiatiques. L’environnement devient néanmoins plus compliqué, avec une concurrence locale qui se développe et les récents problèmes de corruption qui ont surgi ces derniers mois. Mais si le marché se complexifie tant en termes d’organisation que de concurrence, le « gâteau » a aussi beaucoup augmenté et la Chine est un marché stratégique. Il y a dix ans, le pays était le 10ème marché pharmaceutique mondial et il est maintenant en troisième position derrière les Etats-Unis et le Japon, avec des prévisions de croissance de 15% par an jusqu’en 2020. La Chine devrait ainsi dépasser le Japon d’ici 2015 ou 2016.
Les laboratoires français de taille moyenne pour leur part, s’ils vendaient parfois indirectement en Chine jusqu’ici, souhaitent aujourd’hui s’implanter pour commercialiser directement leurs produits. Une de leurs approches est de s’appuyer sur un partenaire local maitrisant les circuits de distribution et le relationnel avec les autorités. La situation est très différente pour les PME françaises. Peu d’entre elles sont présentes en Chine. Transgène a une filiale, mais la société est affiliée au groupe Mérieux qui possède un ancrage historique dans le pays. Nanobiotix a signé un accord en 2012 avec une société taïwanaise, PharmEngine, et plus récemment, en octobre dernier, Immutep s’est associé à Eddingpharm pour le développement, la commercialisation et la production d’un produit d’immunothérapie anticancéreuse. Cette société hongkongaise a essentiellement basé son business modèle sur la conclusion de licences sur des produits pour les revendre ou les commercialiser en direct en Chine. Il y a en effet une forte demande chinoise pour la conclusion d’accords de licence sur des médicaments innovants. Schématiquement, l’entreprise chinoise garde des droits sur son territoire et dans quelques pays asiatiques, finance le développement du produit et le partenaire étranger conserve les droits dans le reste du monde. Les opportunités peuvent donc être nombreuses et les Américains l’ont bien compris.
BioPharmAnalyses : Quelle est la situation de la concurrence locale ? Comment fonctionnent les laboratoires chinois ?
Benoit Colinot : La concurrence chinoise est très diverse. Si la plupart des big pharma occidentales ont un modèle centré sur la recherche, le développement et la mise sur le marché des médicaments, ils n’assurent pas la distribution, contrairement aux grands groupes chinois, qui sont souvent les branches pharma de grands conglomérats. Les principaux acteurs chinois ont une approche intégrée et souhaitent contrôler les circuits de distribution. Il s’agit à la fois d’un enjeu stratégique pour leurs propres produits, mais aussi d’une « business unit » à part entière. Leur stratégie actuelle est notamment de mieux couvrir les villes de 2nd et 3ème rang et les centres de soins de proximité. Au-delà de leurs propres médicaments, ces laboratoires commercialisent donc aussi des dispositifs médicaux par exemple. Certains ont mêmes des chaines de pharmacies de détail. La taille de ces grands groupes chinois reste néanmoins moins importante que celle des laboratoires du Top 10 de l’industrie pharmaceutique et leur terrain de jeu reste, pour le moment en tout cas, leur marché domestique.
De façon plus générale, l’industrie pharmaceutique chinoise demeure principalement spécialisée dans la production de génériques, d’ingrédients pharmaceutiques actifs et de médicaments de la médecine traditionnelle chinoise. Ces entreprises sont généralement peu innovantes (en moyenne, 2 à 5% de leur chiffre d’affaires est réinvesti en R&D) même si de nombreux acteurs se sont engagés dans l’amélioration qualitative de leurs produits et l’extension de leur portefeuille de produits. Les dépenses de R&D de l’industrie domestique progressent cependant de 8 à 10% par an. Enfin, leur profitabilité est souvent faible, la pression sur les prix exercée par les pouvoirs publics et les hôpitaux étant extrêmement forte.
La distribution en Chine étant très régionalisée, les sociétés étrangères qui veulent venir dans le pays doivent à terme « siniser » leur approche, le relationnel au niveau central devant aussi être prolongé au niveau local.
En termes de business développement, ces groupes chinois ont une approche opportuniste et ont donc tendance à aller chercher des nouveaux produits à l’étranger pour les amener sur leur marché national. Mais on assiste aussi à une montée en puissance d’acteurs locaux qui s’engagent dans le développement de médicaments innovants. Ces groupes bénéficient du soutien des autorités au niveau local, provincial et national, qui redirigent vers eux de grandes quantités d’argent public pour soutenir leur R&D et la montée en gamme de l’industrie pharmaceutique chinoise. Les pouvoirs publics chinois portent en effet une politique industrielle ambitieuse qui vise la construction de champions nationaux. Ils incitent à la consolidation d’un secteur qui reste extrêmement fragmenté. Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique chinoise compte environ 5 000 fabricants et l’objectif affiché est de parvenir à concentrer 30 à 40 % du marché chinois chez les dix ou quinze premiers acteurs nationaux. De nombreux acteurs disparaissent d’ailleurs actuellement en raison de l’introduction progressive de normes GMP de plus en plus strictes.
BioPharmAnalyses : Comment décririez-vous la situation de la R&D en Chine et les liens entre acteurs publics et privés ?
Benoit Colinot : La Chine consacre 2 % de son PIB à la R&D, ce qui est un pourcentage équivalent à celui de la France, mais pour un PIB quatre ou cinq fois plus important. Dans les télécoms, des groupes tels que Huawei n’ont rien à envier aux grands acteurs occidentaux, coréens ou japonais. La Chine est donc un acteur essentiel de l’innovation mondiale, même s’il s’agit plutôt d’amélioration incrémentale. En revanche, dans le domaine biotech, l’écart en termes d’innovation reste important. Il y a eu des effets d’annonces, notamment avec la première autorisation d’une thérapie génique en 2003. Cependant depuis 20 ans, l’effort de rattrapage en termes qualificatifs est impressionnant. Les dépenses de R&D pour la recherche biomédicale ont triplé sur 15 ans. Par ailleurs, on remarque que la frontière public-privé est extrêmement poreuse. En Chine, on peut voir des universités créer des sociétés pour commercialiser leurs travaux, entrer au capital desdites sociétés et utiliser dans ces entreprises des thésards, des post-doctorants ou des équipements financés par l’université. Certaines universités se sont lancées dans des grandes opérations de création de parcs scientifiques, aidées en ce la par l’allocation gratuite de terrains et d’équipements par l’Etat. Vue de l’extérieur, la situation est donc souvent compliquée à appréhender car peu transparente. Mais les universités et les centres académiques sont de toute façon très impliqués dans la commercialisation des résultats de leurs travaux, mais n’utilisent pas nécessairement des schémas classiques. Du point de vue d’une société étrangère qui veut travailler avec une équipe de recherche en Chine, le transfert de technologie peut donc s’avérer complexe. Il n’existe pas de procédure harmonisée ; il faut être très pragmatique et agir au cas par cas. De façon générale, on observe aussi de grandes variations dans la qualité de la recherche académique. Les chercheurs chinois sont payés sur la base du nombre de publications réalisées. Depuis dix ans, on a certes vu une progression exponentielle du nombre de publications dans la recherche biomédicale, mais les études d’impact permettent de relativiser cette croissance. Il existe bien sûr aussi un effet de masse : tous domaines scientifiques confondus, la Chine compte 21 millions de chercheurs.
BioPharmAnalyses : De nombreuses idées reçues sont associées à la Chine qu’on assimile souvent au pays de la contrefaçon. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Benoit Colinot : L’image de la Chine, pays de contrefaçon, reste vraie dans une certaine mesure, mais elle l’est de moins en moins en raison de la pression des consommateurs et de patients qui veulent des médicaments sûrs. Ce sujet est devenu un enjeu essentiel de stabilité sociale pour les autorités chinoises. La Chine a incorporé dans sa législation le corpus réglementaire international de la propriété intellectuelle et il est possible, même si cela reste parfois difficile, de faire valoir ses droits. Au-delà d’une problématique pour les sociétés étrangères en Chine, c’est d’ailleurs d’abord une problématique pour les sociétés locales. 95 % des procès en propriété intellectuelle interviennent entre entreprises chinoises et celles-ci exercent de fortes pressions pour que les droits de la propriété intellectuelle soient respectés en Chine.
BioPharmAnalyses : Quels sont les besoins majeurs identifiés dans le secteur de la santé en Chine ?
Benoit Colinot : Il y a en Chine une classe urbaine de plus en plus riche qui veut avoir accès à des soins de meilleure qualité, à des dispositifs médicaux et à des médicaments innovants et sûrs. Mais les acteurs locaux ne sont pas toujours capables de produire les solutions répondant à cette demande de montée en gamme des produits vendus en Chine. La pollution, les changements d’habitudes alimentaires et la sédentarisation de la population s’accompagnent aussi d’un développement très rapide des maladies chroniques classiques, telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer. De plus, la Chine est un pays qui vieillit rapidement. La proportion de la population âgée de plus de 65 ans était de 7 % en 2000 et cette part devrait plus que tripler d’ici 2050 pour atteindre 24 %, soit plus de 330 millions de personnes. Ce vieillissement de la population a non seulement un impact direct sur le développement des maladies chroniques et le besoin de médicaments, mais aussi sur le besoin de services de soins à domicile, de maisons de retraite et de solutions d’e-santé. Parallèlement à la demande de soins de qualité, la couverture médicale universelle mise en place en Chine a permis, dans une certaine mesure, de rendre solvable la demande, même si de profondes inégalités de prise en charge demeurent. En trois ans, la proportion de la population couverte est passée de 30 à 95 %, ce qui a ouvert de nouveaux marchés et a entraîné en contrepartie une pression importante sur les prix des médicaments. Pour les pouvoirs publics, il convient donc de mieux soigner pour moins cher, ce qui induit de nombreuses réflexions en termes de parcours du patient, de diagnostic, de rationalisation des prescriptions, de soins à domicile, d’évaluation du service médical rendu, etc. Enfin, la Chine est malheureusement toujours « un incubateur pour les maladies infectieuses émergentes ». Le pays a été très critiqué à la suite de l’épidémie de SRAS en 2003, ce qui a conduit à une montée en gamme des centres chinois de suivi épidémiologique et la Chine cherche des solutions dans ce domaine.
BioPharmAnalyses : Les Rencontres France-Chine de la Santé se tiendront à Pékin du 15 au 17 août prochains dans le cadre du China Health Forum. Pouvez-vous nous en expliquer les grandes lignes et les objectifs ?
Benoit Colinot : Ces rencontres sont portées par le Club Santé Chine, qui réunit sous une même bannière une cinquantaine d’acteurs français actifs dans les secteurs de la santé en Chine, Ubifrance et les Services de l’Ambassade. Elles sont organisées en partenariat avec le ministère de la Santé chinois et s’organise autour des thèmes que je viens de vous développer. Quatre problématiques ont ainsi été retenues : la conception et la gestion hospitalière ; les soins et le vieillissement ; les maladies chroniques et le parcours de soins ainsi que les maladies infectieuses (1). Ce club est à la fois un réseau et une structure d’échanges sur les problématiques chinoises. Les membres sont autant des grands groupes que des PME/ETI ou des acteurs publics. Certaines sont implantées de longue date en Chine et veulent consolider leurs réseaux locaux. D’autres membres font leurs premiers pas en Chine et souhaitent profiter de cette dynamique. A travers cette approche collective, nous souhaitons mettre en avant l’innovation qui se développe en France et présenter des solutions complètes aux autorités de santé de niveau national et provincial, aux directeurs d’hôpitaux, aux leaders d’opinion scientifiques et médicaux et aux grands groupes chinois.
Propos recueillis par Anne-Lise Berthier, rédactrice en chef de BioPharmAnalyses
(1) L’initiative Club Santé Chine correspond à une stratégie définie par le ministère du commerce extérieur visant à privilégier les couples filière/pays offrant les meilleures perspectives de développement à l’international. Il correspond parallèlement à une proposition du G5 santé (bioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Stallergènes et Théa) visant à faciliter le développement à l’international des entreprises françaises. Lancé officiellement le 26 avril 2013, le Club Santé Chine regroupe les différents services de l’Etat et les entreprises du secteur santé présentes dans le pays afin de coordonner les actions et de fournir une offre française complète et adaptée aux enjeux locaux. Le Club santé Chine compte aujourd’hui plus de 50 membres parmi lesquels figurent pour la partie biotech/pharma bioMérieux, Guerbet, Ipsen, Lyonbiopôle, Merial, Sanofi, Sanofi-Pasteur, Transgene et Virbac. Depuis, d’autres Clubs ont été lancées en Russie, au Brésil et en Algérie notamment.
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